Le R&B français est-il en train de regagner ses lettres de noblesse ?
Depuis peu, le paysage musical français est le témoin d'une douce renaissance du R&B autrefois marginalisé, qui trouve un nouveau souffle et une nouvelle considération sur la scène nationale. Cette renaissance, loin d'être le fruit du hasard, est le résultat d'une série de facteurs interconnectés qui ont convergé pour repousser le R&B français vers de nouveaux sommets de popularité et de reconnaissance.
Aujourd’hui, la lumière du genre est palpable et résonnante, surtout pour les plus amoureux de cette culture. Le R&B français retrouve peu à peu son éclat et continue d'incarner sa capacité à créer de nouvelles perspectives. Quelques pistes.
L’époque du succès grand public.
Le R&B traverse l'Atlantique et arrive en France dans les années 1990, dans un contexte où les chanteuses et chanteurs qui investissent le genre s'inscrivant dans le continuité d’une tradition américaine, entre autres marquée par le Hip-Hop et la New Jack Swing.
C’est la génération de N’groove, Tribal Jam ou encore K-reen qui, introduit ce genre nouveau au public français. Progressivement, d’autres artistes français adoptent le genre du R&B en le fusionnant à leurs propres influences musicales et culturelles.
Cette fusion donne ainsi naissance à un R&B français empreint d’une esthétique spécifique et qui reflète les réalités et les préoccupations de la jeunesse française. Ici aussi, cette musique devient celle des sentiments et des défis. Débute ainsi l'époque d’un courant qui connaîtra de nombreuses trajectoires et des mouvements importants comme le succès de l’album de Poetic Lover en 1997.
Hélas, le genre a du mal à être compris et à obtenir la même reconnaissance que d'autres genres musicaux en France.
C’est lorsque l’industrie rapproche le R&B de la variété française et de la Pop que le succès commercial se manifeste. C’est ce R&B qui conquis le grand public et attire l’attention des médias. Cette union devient ainsi le format exploité par les maisons de disques ; interviews, performances télévisées et apparitions dans les magazines s'enchaînent et se multiplient. On assiste par la suite à l'émergence de nombreux artistes spécifiques de ce genre comme Laam, Amel Bent, Nâdiya ou encore Tragédie.
En revanche, cette porosité du R&B et de la variété dessert cruellement les précurseurs du genre qui vivent l'évolution du genre vers un son plus global, industrialisé et érodé de ses racines. L’approche commercialisée fonctionne et reste la même dans les labels, facilitant le succès d’autres chanteuses et chanteurs plus contemporains de cette époque.
Le R&B n’est estimé que sous le prisme du succès commercial, qui invisibilise les œuvres des artistes importants et représentants le genre ; Entre deux Je (Kayna Samet ), A Force de vivre (Wallen) ou Dimension (K-Reen) pour ne citer qu’elles.
Leur succès critique, bien que considéré aujourd’hui, fut éclipsé par des artistes à succès plus commercial.
Un succès d’estime et confidentiel qui témoigne de l’inconsidération du genre lorsqu’il était pratiqué et incarné par les personnes directement concernées à savoir issues de minorités, de quartiers populaires et majoritairement féminins.
Marginalisation et stigmatisation.
En dépit des efforts plus ou moins réussis pour faire connaître le genre, le milieu des années 2000 marque l’essoufflement de la formule adressée au grand public. La popularité du registre ralentit et entraîne le soutien médiatique dans sa chute. Le R&B français n'ayant pas toujours trouvé sa place dans ce paysage musical établi, le désintérêt progressif ne s’est fait que plus grand de la part du public.
En parallèle du succès qui s’estompe, le R&B est confronté à une industrie réticente à l’idée de populariser et pérenniser un genre noir et incarné. À l’instar de la société, le genre doit affronter le poids des stigmatisations racistes et classistes, notamment en raison de ses origines afro-américaines et de ses influences de musiques africaines, antillaises et maghrébines en France. Des stigmas qui ont grandement entravé sa reconnaissance et sa considération par le grand public et les médias. Rares étaient les revues spécialisées qui documentaient l’ensemble du phénomène à travers ses esthétiques, sa musicalité, ses représentants et sa culture. A partir de la fin des années 2000, le R&B disparaît progressivement de l'échiquier médiatique jusqu’à sa totale absence et son accessibilité ultra confidentielle.
La concurrence avec les artistes de R&B internationaux, en particulier des États-Unis, a également joué un rôle dans la diminution de l'attention portée au R&B français sur la scène nationale. Le R&B étant né aux États-Unis et associé à la culture afro-américaine ; en France, où la population est principalement francophone, certaines barrières linguistiques et culturelles rendaient parfois difficile l'appréciation et la diffusion du R&B américain, et par extension, du R&B français.
Malgré ces défis, le R&B français a continué à exister et à évoluer. Sa renaissance récente témoigne de sa capacité à se renouveler et à regagner une place de choix dans le paysage musical français.
L'ère de la renaissance.
Depuis quelques années, la scène française connaît une résurgence progressive du R&B, marginalisé durant plus d’une décennie. Ce retour d’estime, on le doit à : tout d’abord à la scène R&B, qui n’a cessé d’exister et qui a su développer de nouvelles capacités d’adaptation. On le doit à l'appropriation de nouvelles tendances qui redonnent de la dimension au genre à une échelle plus large. On le doit à l’expérimentation et au renouveau créatif des artistes.
La scène indépendante a perduré et a résisté aux mauvais traitements et à l'ignorance de la presse, particulièrement à partir de 2017. En réalité, le R&B n’a pas disparu, certains artistes ont marqué des sorties mais comme tout répertoire, il requiert de la recherche et de la curiosité.
Au cœur de cette renaissance se trouve une nouvelle génération d'artistes audacieux et talentueux, qui insufflent une nouvelle énergie au genre. De nombreuses voix continuent d’explorer les codes traditionnels tandis que d'autres émergent en revisitant le R&B sous un paradigme culturel mêlant influences africaines et antillaises notamment. Plus encore depuis 2019-2020, où l’on assiste à un retournement des stigmas subis par les artistes noirs des années 2000 avec une génération qui embrasse ces influences qu’il n’était pas aussi facile de mettre en exergue 20 ans plus tôt. Il n’est pas désuet d’identifier un R&B revisité, proche d'influences musicales que le public ressent de plus en plus : il est question de zouk, de kompa, d’afrobeats, de rumba congolaises. Un mélange de sonorités comme le font Aya Nakamura, Tayc ou Joe Dwet Filet et qui contribue à populariser le genre à un plus grand nombre.
Aussi on ne peut parler de la recrudescence du R&B sans citer les nouveaux outils et nouvelles ressources à disposition et exploités par nos générations ; le R&B français bénéficie maintenant d'une reconnaissance accrue de la part de nombreux nouveaux médias en ligne et playlists indépendantes, spécialement dédiées à la documentation du R&B français et francophone à travers son histoire et son actualité. Des initiatives qui viennent combler les apories des années 2000. Les plateformes telles que R&B Renaissance ou encore The More Factory accordent une visibilité importante au genre, en faisant découvrir des artistes à un public de plus en plus connecté et pallient à une couverture médiatique traditionnelle qui a été, durant des années, insuffisante ou absente.
Le succès actuel du R&B doit également être attribué à la force et au soutien de publics de niches. Des communautés qui assistent aux concerts, soutiennent matériellement les nouvelles sorties d’artistes. Certaines d’entre elles ont donné naissance à l’émergence d’espaces spécialement consacrés à la célébration du R&B. Ces intentions font à la fois vivre les scènes émergentes mais valorisent et honorent l'héritage du R&B laissé par les générations d’artistes antérieurs. Par ailleurs, nombreux d’entre eux signent leur retour, franchissent de nouveau sommets de popularité et de consécration ou marquent la célébration de leur longévité, le tout soutenu par un public qui répond aux appels et rend hommage aux œuvres ayant façonné cette culture.
Monsieur Nov et Josman recevant la Flamme du morceau R&B de l'année avec "Dernier je t'aime" (2024)
Manifestement, le R&B français continue doucement mais sûrement de gagner en considération et en reconnaissance, les perspectives d'avenir pour ce genre sont prometteuses. Avec une communauté artistique dynamique et un public fidèle, en constante expansion, le R&B français est bien positionné pour continuer à évoluer et à conquérir de nouveaux horizons. Cette recrudescence reflète non seulement une évolution musicale, mais aussi une résonance profonde avec les aspirations et les défis de la jeunesse actuelle, confirmant ainsi que le R&B, loin d'être anecdotique, reste un vecteur puissant d'expression culturelle et émotionnelle.
En revanche, comme tout phénomène, il n'est pas exempt de défis. Un des principaux réside dans la capacité collective et plus normalisée à continuer de plus facilement nommer le R&B lorsqu’il est. Le terme souffre encore d'un manque d’affirmation et de vocalité sur sa désignation, et ce même parfois de la part des artistes. L'industrie gagnerait à soutenir davantage les artistes dans leur développement en misant sur une diversité de parcours de carrière ; sur la scène R&B française, l'écart entre les artistes en développement et les artistes établis reste encore très important.
Au-delà de son succès critique et de son retour de flammes, le R&B français continue de jouer un rôle important dans la culture musicale du pays, pour son son, ses textes et sa résilience. Le R&B dépasse peu à peu les frontières de sa confidentialité ; les yeux et les oreilles sont davantage portées vers cette scène longtemps mise de côté et négligée.
Il est désormais difficile de considérer le genre du R&B français comme un vestige du passé, lorsqu’il est si fièrement revendiqué et célébré dans nos espaces et au-delà.
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