Tabaski : réflexions et cheminements.
L’Eïd El Adha (aussi appelée Eïd El Kébir, Fête du Sacrifice, ou Tabaski) est l’une des célébrations les plus importantes pour la communauté musulmane. Elle est une commémoration du sacrifice du prophète Ibrahim (Paix sur Lui), de son obéissance sans faille à Dieu ; et marque la fin de la période de pèlerinage à La Mecque, l’un des 5 pilliers de l’Islam. La Tabaski met l’accent sur l’importance de la Foi, du Dévouement et l’Unicité de Dieu.
À cette occasion nous nous sommes entretenus avec Mamita, Tiémoko (TJ) et Lamine. Une conversation autour de leur spiritualité, en toute simplicité et pleine de bienveillance.
Eïd Moubarak à tous les musulmans.
Spiritualité et quête de sens
La spiritualité est un concept assez vaste qui demande beaucoup de réfléxions et d’introspection. Comment définiriez-vous la spiritualité et en quoi est-elle importante pour vous en tant que musulman.e ?
TJ : Je pense que ça commence par croire en premier lieu, qu’il n’y a de Dieu que Dieu et sans associé. Pour moi ça se caractérise dans mon mode de vie et mes actions : comment j’interagis avec les autres, ma famille, mon entourage et même mon voisinage. On est tous plus ou moins liés en quelque sorte. Le savoir-être et le vivre ensemble c’est se rapprocher d’Allah.
Lamine : Je pense que je définis la spiritualité comme ma capacité à ressentir des choses qui ne sont pas palpables et dans ma foi musulmane, elle me permet d’entrer en symbiose avec moi-même et de mieux me comprendre et ma religion.
Mamita : C’est un guide, c’est un mode de vie qui va avec des pratiques qui vont dépendre de notre créateur. C’est un guide qui me permet d’être, et de chercher à être la meilleure version de moi même !
« Je pense que je définis la spiritualité comme ma capacité à ressentir des choses qui ne sont pas palpables et dans ma foi musulmane, elle me permet d’entrer en symbiose avec moi-même et de mieux me comprendre et ma religion. »
Comment est-ce que vous parvenez à cultiver votre spiritualité et en quoi est-ce qu’elle guide et régit votre vie quotidienne?
TJ : L’islam c’est une religion de discipline. Sans compter les extras, on prie 5 fois par jour. Je prie chaque jour (en tout cas j’essaye) et m’en remettre à Allah me permet d’avancer vers ce qui parait juste à mes yeux. Je fais ça pour me faire pardonner, pour remercier et pour demander ce que je désir aussi. On peut percevoir ça comme une forme de thérapie. Je pense que sans ça je déborderais, je n’aurais pas de réelles « limites », si j’extrapole un peu. On nous apprend à être bienveillant avec nos prochains et de les approcher avec un sourire même si parfois on paraît bien loin de tout ça dans le monde dans lequel on vit. Ce sont des valeurs profondes qui m’animent et que je soutiens. Dans un autre angle, je fais ça aussi pour moi-même.
Lamine : Je pense qu’elle régit ma vie à travers mes choix de vie et d’actions. Tout ça, en prenant un recul sur moi-même et ce que je fais. Toujours en corrélation avec ma foi.
Mamita : Ma spiritualité me permet de garder une vie saine et avoir un certain équilibre. Elle me permet également de toujours chercher le meilleur pour moi, que ce soit dans ma relation avec mon créateur, mon entourage et surtout la relation avec ma personne.
S’inspirer pour aspirer au meilleur.
Quels sont les aspects de l'Islam qui vous inspirent le plus et qui vous aident à rester fidèle à votre foi/à vous-même?
Lamine : L’aspect qui m’aide le plus est le Tawakkul : la pleine confiance en Allah. Ça m’aide à rester fort dans les moments de faiblesses et d’imaginer une fin plus optimiste à mes tracas. Je pense que d’avancer dans la vie avec cette idée que si une épreuve vient à moi, c’est que j’ai la force de la surmonter joue comme un effet placebo dans l’esprit et que ça aide vraiment à naviguer en laissant Allah au contrôle de notre destinée.
Mamita : La protection et toujours garder foi en Dieu.
TJ : Pour moi, il y en a plusieurs… À commencer par la communauté. Je suis quelqu’un qui pense souvent aux autres car je veux qu’on profite tous ensemble. Aujourd’hui à l’échelle mondiale on peut voir à quel point la communauté est soudée, surtout à travers les actualités. Peu importe nos différences dans la communauté, on se soutient et s’entraide lorsqu’il le faut malgré tout. Le traitement et la considération envers les femmes aussi. Chaque jour j’apprends davantage à les respecter et plus encore récemment. Je suis issu d’une famille monoparentale, j’ai vu tout ce que ma mère a vécu et la perception des femmes musulmane en France… c’est chaud. Ce sont elles qui nous éduquent, qui nous nourrissent, ect. On dit que la femme c’est 50% de notre foi - donc il faut en prendre soin. Carrément il y a toute une sourate qui parle d’Elles (S4 : An Nisa). Et enfin je dirai la sincérité. Je crois au fait que les choses faites avec de bonnes intentions sont celles qui nous sont souvent profitables, dans cette vie et au delà.
C’est la où réside la pureté des choses qu’on effectue. Ça résonne aussi avec l’amour je pense.
Quels enseignements de l'Islam vous ont le plus marqués et comment les appliquez-vous dans votre quotidien ?
Mamita : Personnellement c’est le fait que quand Dieu place une épreuve sur ton chemin ou que tu rencontres des obstacles pour obtenir quelque chose malgré tes efforts, c'est qu'Il veut te protéger du pire. Dieu ne te donnera jamais quelque chose qui te ferait du mal, Il veut toujours le meilleur pour toi. Par exemple, quand je n'arrive pas à obtenir ce que je souhaite, je me dis toujours que Dieu a sûrement préparé quelque chose de bien meilleur que ce que j'aurais pu imaginer !
TJ : Le pardon… Allah nous pardonne pardonne à tous, il faut aussi le demander. Avec ce même principe, il faut faire les causes derrière et pas seulement attendre. Il s’agit d’une vraie quête de soi en premier lieu à travers la religion et renouveler nos intentions en continue car on peut avoir des baisse de foi et c’est normal. Je dirais du coup que la patience et l’endurance sont des qualités que je pratique aussi énormément en ce moment. Surtout sur le plan familiale et dans mon cercle proche. Les bonnes choses en général prennent du temps à se construire de façon organique. Même le prophète (sws) a dû endurer la maux des Hommes et le résultat appartient à l’histoire. J’apprends aussi que je ne contrôle rien. Peu importe ce qui peut arriver bien ou mal, la suite dépend de notre réaction aux événements. On revient à Allah qui nous le rappelle constamment. Personne n’est infaillible. Passer du rire aux larmes et inversement c’est facile dans notre génération. La seule chose qui reste est notre foi et nos valeurs.
Lamine : J’avais lu cet écrit qui disait qu’on devait placer notre confiance en Allah comme l’oiseau qui part le ventre vide le matin, avec la certitude de revenir le soir avec sa pitance. Et je pense que, comme dit précédemment, que c’est l’aspect et l’enseignement qui me reste le plus en tête dans la vie de tous les jours. Ce lâcher prise face à nos problématiques de la vie est une tâche difficile mais qu’on doit accomplir pour atteindre un autre degré de foi.
« D’après ‘Omar Ibn Al Khatab (qu’Allah l’agrée), le Prophète SWS a dit : « Si vous placiez votre confiance en Allah comme il se doit, Il vous donnerait certes votre subsistance comme Il la donne à l’oiseau qui part le matin le ventre vide et revient le soir le ventre plein. »
La Patience et les bonnes Intentions.
Une qualité que la religion vous a appris sur vous-même et/ou sur la vie en général ?
Mamita : Être en paix avec soi-même, ne pas juger, pardonner, être patiente et tolérante avec les autres, toujours chercher à comprendre et à aider son prochain.
TJ : La sagesse de prendre soin de mon prochain.
Lamine : La patience. Car La patience envers les autres engendre la patience envers soi même. Dans le sens où si je peux faire preuve de patience envers les stimulus extérieurs, ça m’aide à aussi être plus patient avec moi même. Dans mes attentes, dans mon évolution, dans mes rapports. Allah est patient avec nous, dans nos fautes et notre évolution. Tout prend du temps à se faire, et se dompter soi-même dans la vie aussi, donc je dois m’armer de patience.
En quoi votre foi a-t-elle impacté vos relations interpersonnelles (votre façon d'interagir avec les autres) et intra-personnelles (votre rapport avec vous-même) ?
Mamita : Je pense que ma réponse se relie à la question précédente : la patience envers les autres et la bienveillance sont essentielles. En ce qui concerne mes relations intra-personnelles, depuis que je me suis rapproché de la religion, j'ai commencé à mieux prendre soin de moi. Que ce soit spirituellement ou physiquement, je cherche toujours à apporter le meilleur pour moi-même.
TJ : La constance dans les bonnes intentions. J’écoute, je pose énormément de questions, j’essaie de raisonner et me remettre en question si j’ai tord. J’essaye d’adopter une posture plus musulmane dans mon attitude ; par exemple si je suis à l’extérieur chez un ami non musulman, je prie chez lui si possible, je suis moins gêné lorsque je demande si un plat est halal… et d’autres petits détails dans ma vie qui sont plus visibles qu’avant parce que je mûri mais sans me mettre à vouloir afficher ma religion, il faut que ça reste personnel. Et sinon, les femmes aussi. On est dans une société qui n’en fait pas assez à leur égard et je préfère participer aux aspects positifs avec un bon comportement - lié aux principes de l’islam. J’essaye de lower mon gaze (nb : baisser le regard) au max et de limiter le haram (nb : l’interdit, l’illicite) mais ça reste pas évident.
Lamine : Mon deuxième prénom Lamine est un dérivé de Al-Amin (الأمين), qui signifie "le digne de confiance" en arabe. Quand j’ai su sa signification, j’ai commencé à l’utiliser de plus en plus car c’était une qualité que je voulais cultiver. Donc ma foi m’a dirigé sur ce chemin et à travers chaque relation que j’ai, je me demande si, dans cette discussion, cette transaction, cette action que je m’apprête à faire, je suis digne de confiance ? Et ça remet tout de suite les choses en perspective. Même dans ma relation avec moi-même, cette question se pose, car je ne peux pas être honnête avec les autres si je ne fais pas face à moi même dans mon for intérieur.
Comment vous arrivez à faire face aux défis et aux tentations de la vie quotidienne en tant que musulman.e ?
TJ : Mon entourage m’aide énormément. Musulmans ou pas j’ai un entourage très sain. Ça me permet de me motiver facilement en cas de baisse de foi parce qu’eux souhaitent ma réussite et connaissent mes valeurs. En parallèle, j’essaye de rester dans les environnements qui me sont profitables et réduire ce qui ne l’est pas sur le long terme. Faut avoir la vision. C’est comme un marathon il faut avancer avec patience. Je trouve que c’est important de se déconstruire, j’ai adopté un mode de vie qui m’est propre au fil du temps. En en apprenant plus sur l’islam je sais qu’il y a des choses à limiter/bannir, tout en me rappelant que je ne suis qu’un homme, d’où le fait de se pardonner. Je pense aussi qu’il faut être ancré dans le présent, bien comprendre son rythme et ce qu’on peut accomplir. C’est le fait de faire des actions pas à pas avec sincérité comme dit précédemment. Personnellement, je ne retiens pas grand chose si je rush. Pour bien faire tout ça, ça nécessite du savoir, de la connaissance d’Allah, de Sa religion, de ce qui nous entoure et voir notre réalité et ce qu’on veut manifester sur le long terme. Je n’ai jamais vraiment aimé le terme apprendre parce qu’on oublie. 75% de ce que je te dis dans 6 jours, tu sauras plus ce que c’est (d’après une étude d’Herman Ebbingus). C’est pour ça quand il s’agit quelque chose qui te tient à cœur, il faut être très rigoureux si on vise le durable.
Mamita : Relativiser chaque situation à laquelle nous faisons face est essentiel. Rien de ce que Dieu apporte dans ta vie n'est un hasard. Je considère toujours chaque défi comme une leçon qui me permet de progresser et de devenir une meilleure personne.
Lamine : Je pense que face aux tentations, j’essaye de m’en éloigner le plus possible, autant dans la prière que dans une remise en question sur ce que va m’apporter cette action et ce que je vais y perdre. Et dans certaines tentations, c’est une partie de nous-mêmes qu’on perd en succombant. Je me dis que je n’ai pas envie de devenir tel ou tel type de personne, qu’Allah en serait déçu. Ce sont des défis en soi qui se présentent chaque jour à la porte de chaque musulman et auxquels on doit tous faire face, chacun à notre manière.
« Depuis que je me suis rapproché de la religion, j’ai commencé à mieux prendre soin de moi. »
Si vous deviez donner un seul mot pour illustrer ce que représente l’Islam dans votre vie, ce serait lequel?
Mamita : L’équilibre.
TJ : La gratitude. Reconnaissant envers Allah pour toute chose.
Lamine : L’Optimisme. Je pense que je suis bien souvent amené à me dire que les choses ne vont peut-être pas s’arranger sur telle ou telle situation. Et quand je me retrouve dans ce genre d’états d’esprits, je prie pour un meilleur lendemain avec la certitude qu’Allah va alléger mon mal être. Et ça me permet de rester ou de continuer sur une ligne positive
Dans quel état d’esprit accueillez-vous l’Eïd ? Que représente ce moment pour vous ?
TJ : Je suis à un stade dans mon parcours religieux où je distingue les deux Eïd mais je découvre de plus en plus le l’importance de l’un et l’autre. Les 9 jours qui précèdent cet Eïd j’essaye de jeûner les 9 au max, sinon que le 9eme jour. Le jour J j’ai pour habitude d’aller à la mosquée de ma ville et faire la prière de groupe. C’est un moment d’unité où je vois des gens que je croise pas forcément, je prends le temps de prendre des nouvelles. Dire bonjour aux familles de mes amis proches avant de rentrer chez moi pour manger le mouton que ma mère a préparé. Je suis dans un état d’esprit de reconnaissance toujours. J’apprécie les gens qui m’entourent, surtout la famille. C’est important parce que c’est pas quelque chose que je fais souvent perso du coup c’est un moment particulier.
Mamita : L’Eïd Al Adha, la Tabaski, ou le Met Gala de la Westafie ! Pour moi, c’est une journée riche en émotions, où règnent la joie et la bonne humeur ! Chacun porte ses plus belles tenues et parures pour l’occasion. C’est surtout un moment de partage familial et d’amour. La Tabaski, c’est un jour où je suis tellement heureuse et je ressens une immense gratitude envers mon Créateur. Retrouver toute ma famille autour d’un bon repas, manger à notre faim, rire, se taquiner, et partager de bons souvenirs.
Lamine : Je dirai que l'Eïd représente un moment de partage et de repos pour moi. On a la chance d'être entouré et on s'en rend compte ce jour là. C'est dans un état de gratitude que je suis dans ces moments là.
